Suites adjacentes
Définition
Deux suites \(u\) et \(v\) sont dites adjacentes si l’une est croissante, l’autre décroissante, et : \(\lim\limits_{n\to+\infty}(u_n-v_n)=0\).
Théorème
Si les suites \(u\) et \(v\) sont adjacentes, alors elles convergent vers une même limite \(\ell\) et celle-ci vérifie, si \(u\) est croissante et \(v\) décroissante : \[\forall n \in \mathbb{N},\ u_n \leqslant \ell \leqslant v_n\]
Exercice
On considère les suites \(u\) et \(v\) définies par : \[\forall n \in \mathbb{N},\ u_n=\sum_{k=1}^n \frac{1}{k}-\ln(n) \quad\text{et}\quad v_n=\sum_{k=1}^n \frac{1}{k}-\ln(n+1)\] Montrer que les suites \(u\) et \(v\) convergent vers la même limite.
Solution
On prouve que les suites \(u\) et \(v\) sont adjacentes.
On a : \[\begin{aligned} \forall n \in \mathbb{N}^\ast,\ u_n-v_n &= \left(\sum_{k=1}^n \frac{1}{k}-\ln(n)\right)- \left(\sum_{k=1}^n \frac{1}{k}-\ln(n+1)\right)\\ &= \ln\!\left(\frac{n+1}{n}\right). \end{aligned}\]
De plus, on a : \[\lim\limits_{n\to+\infty}\frac{n+1}{n}=1 \quad\text{et}\quad\lim_{x\to 1} \ln(x)=\ln(1)=0\] donc : \[\lim\limits_{n\to+\infty}(u_n-v_n)=0\]
De plus, on a, pour tout \( n \in \mathbb{N}^\ast \) : \[ u_{n+1}-u_n = \frac{1}{n+1}-[\ln(n+1)-\ln(n)] \] et : \[ v_{n+1}-v_n=\frac{1}{n+1}-[\ln(n+2)-\ln(n+1)]\] Par ailleurs, pour tout \(k\in\mathbb{N}^\ast\), la fonction \(\ln\) est continue sur \([k,k+1]\) et dérivable sur \(]k,k+1[\) et on a : \[\forall k\in\mathbb{N}^\ast,\ \forall x\in\,]k,k+1[,\ \ln'(x)=\frac{1}{x}\] et donc : \[\forall k\in\mathbb{N}^\ast,\ \forall x\in\,]k,k+1[,\ \frac{1}{k+1} \leqslant \ln'(x) \leqslant \frac{1}{k}\] et alors, d’après l’inégalité des accroissements finis : \[\forall k\in\mathbb{N}^\ast,\ \frac{1}{k+1} \leqslant \ln(k+1)-\ln(k) \leqslant \frac{1}{k}\] et finalement : \[\forall n \in \mathbb{N}^\ast,\ u_{n+1}-u_n \leqslant 0 \quad\text{et}\quad v_{n+1}-v_n \geqslant 0\]
Ainsi, la suite \(u\) est décroissante et la suite \(v\) est croissante.
Finalement, les suites \(u\) et \(v\) sont donc adjacentes, donc convergent vers une même limite \(\gamma\).
Remarque
Le lecteur curieux notera avec intérêt que cette limite \(\gamma\) est la constante d’Euler : \[\gamma \simeq 0,5772\]
Remarques
Attention à ne pas oublier d’étudier la monotonie des suites \(u\) et \(v\) avant de conclure. En effet, on ne peut rien dire des suites \(u\) et \(v\) à partir de la seule information \(\lim\limits_{n\to+\infty}(u_n-v_n)=0\). Nous invitons le lecteur suspicieux à calculer la limite de \(v-u\) et à étudier la convergence des suites \(u\) et \(v\) dans les cas suivants :
\(\forall n \in \mathbb{N}^\ast,\ u_n=n\) et \(v_n=n+\dfrac{1}{n}\),
\(\forall n \in \mathbb{N}^\ast,\ u_n=(-1)^n\) et \(v_n=(-1)^n+\dfrac{1}{n}\).
Exercice
On se propose de démontrer le théorème des valeurs intermédiaires : si \(f\) est une fonction continue sur un intervalle \(I\) et si \(a\) et \(b\) deux deux éléments de \(I\), alors, pour tout réel \(d\) compris entre \(f(a)\) et \(f(b)\), il existe un réel \(x\) compris entre \(a\) et \(b\) tel que : \(f(c)=d\) .
À cet effet, on considère une fonction \(f\) continue sur un intervalle \(I\) de \(\mathbb{R}\) et on considère deux éléments \(a\) et \(b\) de \(I\). Pour simplifier le raisonnement, on suppose que \(f(a) < f(b)\) (le cas \(f(a) > f(b)\) se démontre de manière analogue et le cas \(f(a)=f(b)\) ne nécessite pas réellement de preuve, non ?).
Soit alors \(d\) un élément de \([f(a),f(b)]\). On considère les suites \(u\) et \(v\) définies par \(u_0=a\), \(v_0=b\) et par la relation de récurrence : \[\forall n \in \mathbb{N},\ (u_{n+1},v_{n+1})= \begin{cases} \displaystyle\left(u_n,\frac{u_n+v_n}{2}\right) &\text{si } \displaystyle f\!\left(\frac{u_n+v_n}{2}\right) >d\\ \displaystyle\left(\frac{u_n+v_n}{2},v_n\right) &\text{sinon} \rule[0pt]{0pt}{20pt} \end{cases}\]
Démontrer que les termes des suites \(u\) et \(v\) sont tous bien définis, appartiennent à \(I\) et que : \[\forall n \in \mathbb{N},\ u_n \leqslant v_n\]
Prouver que les suites \(u\) et \(v\) convergent vers une même limite \(c\).
Conclure.
Solution
Montrons par récurrence que, pour tout \(n\in\mathbb{N}\), la proposition \(\mathscr P(n)\) : \(u_n\) et \(v_n\) existent, appartiennent à \(I\) et vérifient : \(u_n \leqslant v_n\) est vraie.
Pour \(n=0\). Comme \(u_0=a\) et \(v_0=b\) appartiennent à \(I\) et vérifient \(a\leqslant b\), \(\mathscr P(0)\) est vraie.
Soit \(n\in\mathbb{N}\). Supposons que \(\mathscr P(n)\) soit vraie. Comme \(I\) est un intervalle et comme \(u_n\) et \(v_n\) appartiennent à \(I\), \(\dfrac{u_n+v_n}{2}\) existe et appartient à \(I\). Par conséquent, \(f\!\left(\dfrac{u_n+v_n}{2}\right)\) existe. On en déduit que, dans les deux cas de figure, \(u_{n+1}\) et \(v_{n+1}\) sont bien définis et appartiennent à \(I\). Deux cas se présentent alors :
Si \(\displaystyle f\!\left(\frac{u_n+v_n}{2}\right) >d\). Dans ce cas, on a : \[u_{n+1}=u_n \quad\text{et}\quad v_{n+1}= \frac{u_n+v_n}{2}\] et donc, comme \(u_n+v_n \geqslant 2u_n\) d’après \(\mathscr P(n)\) : \[u_{n+1} \leqslant v_{n+1}.\]
Si \(\displaystyle f\!\left(\frac{u_n+v_n}{2}\right) \leqslant d\). Dans ce cas, on a : \[u_{n+1}=\frac{u_n+v_n}{2} \quad\text{et}\quad v_{n+1}= v_n\] et donc, comme \(u_n+v_n \leqslant 2v_n\) d’après \(\mathscr P(n)\) : \[u_{n+1} \leqslant v_{n+1}.\]
Dans tous les cas, on a donc prouvé : \(u_{n+1} \leqslant v_{n+1}\), donc : \(\mathscr P(n) \Rightarrow \mathscr P(n+1)\).
Ainsi, \(\mathscr P(n)\) est vraie pour tout \(n\in\mathbb{N}\), ce qui permet de conclure que les termes des suites \(u\) et \(v\) sont tous bien définis, appartiennent à \(I\) et : \[\forall n \in \mathbb{N},\ u_n \leqslant v_n.\]
On prouve que les suites \(u\) et \(v\) sont adjacentes.
On commence par remarquer que, pour tout \( n \in \mathbb{N} \) : \[\begin{aligned} & u_{n+1}-u_n = \begin{cases} \displaystyle u_n-u_n=0 &\text{si } \displaystyle f\!\left(\frac{u_n+v_n}{2}\right) >d\\ \displaystyle\frac{u_n+v_n}{2}-u_n = \frac{v_n-u_n}{2}&\text{sinon} \rule[0pt]{0pt}{20pt} \end{cases} \nonumber\\ & v_{n+1}-v_n = \begin{cases} \displaystyle\frac{u_n+v_n}{2}-v_n=\frac{u_n-v_n}{2} &\text{si } \displaystyle f\!\left(\frac{u_n+v_n}{2}\right) >d\\ \displaystyle v_n-v_n = 0&\text{sinon} \rule[0pt]{0pt}{20pt} \end{cases} . \end{aligned}\] et donc, d’après le résultat de la question précédente : \[\forall n \in \mathbb{N},\ u_{n+1}-u_n \geqslant 0 \quad\text{et}\quad v_{n+1}-v_n \leqslant 0.\]
Ainsi, la suite \(u\) est croissante et la suite \(v\) est décroissante.
Par ailleurs, on a, pour tout \( n \in \mathbb{N} \) : \[v_{n+1}-u_{n+1} = \begin{cases} \displaystyle\frac{u_n+v_n}{2}-u_n=\frac{v_n-u_n}{2} &\text{si } \displaystyle f\!\left(\frac{u_n+v_n}{2}\right) >d\\ \displaystyle v_n-\frac{u_n+v_n}{2} = \frac{v_n-u_n}{2}&\text{sinon} \rule[0pt]{0pt}{20pt} \end{cases}\] et donc, plus simplement : \[\forall n \in \mathbb{N},\ v_{n+1}-u_{n+1} = \frac{v_n-u_n}{2}.\]
Ainsi, la suite \((v_n-u_n)_{n\in\mathbb{N}}\) est une suite géométrique de raison \(\dfrac{1}{2}\), et donc : \[\forall n \in \mathbb{N},\ v_n-u_n = \frac{v_0-u_0}{2^n}\] et donc, comme \(\left| \dfrac{1}{2} \right| <1\) : \[\lim\limits_{n\to+\infty}(v_n-u_n)=0.\]
Finalement, les suites \(u\) et \(v\) sont adjacentes, ce qui nous permet de conclure que les suites \(u\) et \(v\) convergent vers une même limite \(c\).
Par construction, on a : \[\forall n \in \mathbb{N},\ f(u_n) \leqslant d \leqslant f(v_n)\] et de plus, comme \(f\) est continue en \(c\) (car \(c\) appartient à \(I\)) : \[\lim\limits_{n\to+\infty}f(u_n)=\lim\limits_{n\to+\infty}f(v_n)=f(c),\] et finalement, d’après le théorème de prolongement des inégalités : \(f(c) \leqslant d \leqslant f(c)\), soit encore : \[f(c)=d.\]
On peut finalement conclure que tout réel compris entre \(f(a)\) et \(f(b)\) admet au moins un antécédent par \(f\).
Les suites \(u\) et \(v\) ont été construites par dichotomie. Il est important de bien retenir et comprendre le raisonnement précédent, qui s’avérera utile, notamment en informatique.